15/09/2010

Virginia Woolf, Mrs Dalloway

Ce billet est écrit dans le cadre de la Lecture Commune Livr'Addict, avec Irrégulière, Jana, Hilde,



J'avais été plus ou moins préparée à cette lecture par le film The Hour, largement inspiré du roman et de la vie de l'auteur, la lecture dune partie de son journal et divers avis de lecteurs, pas forcément très positifs. On m'avait dit que c'était "particulier", qu'il fallait s'accrocher, que c'était presque désagréable. Comme quoi il ne fait jamais écouter les avis des autres (donc pas le mien non plus, ça va de soi)


En bref :


Un roman difficile à décrire, encore plus à résumer. Les conventions veulent qu'on se contente de dire qu'il suit la journée de Clarissa Dalloway, femme de la haute société londonienne, marquée par les cloches de Big Ben et la réception qu'elle prépare. Mais il y a tellement plus - Londres, la vie de Londres une journée d'été 1925, des personnages qui se croisent et une plume qui touche à l'hallucination.


Mon avis :


On peut réagir de deux manières à la lecture de Mrs Dalloway : on peut se laisser dérouter, chercher un semblant de logique classique à laquelle s’accrocher, et au final perdre le fil du roman.


Ou on peut accepter l’idée qu’il n’y en a pas. On accepte de se laisser emporter par les divagations des personnages, leurs sensations, leurs visions qui s’entrecroisent le long des beaux quartiers de Londres et on laisse toute idée de linéarité derrière soi.


J’ai choisi la deuxième option et je ne le regrette pas. En fait, toutes mes sensations de lecture se résument par une phrase de Virginia Woolf : "L'intelligence était bête. On devrait simplement dire ce que l'on ressent".


Ce n'est pas un roman qui parle à la partie consciente du lecteur et à le lire avec son intelligence, comme un roman classique, calibré, on ne peut que s'ennuyer (ou alors, c'est qu'on est un universitaire décidé à disséquer chaque phrase). Comme le roman ne se mesure pas aux chapitres (il n'y en a pas), la journée ne se mesure pas aux heures de Big Ben mais aux sensations des personnages qui une fois le livre reposé laissent une impression vague, comme une rêverie dont on aurait perdu le fil.


On a dit beaucoup de choses sur ce roman. Il est vrai que la lecture peut laisser une sensation désagréable, quelque chose de malsain - après tout, Virginia Woolf y a mis beaucoup de ses propres visions, et sa santé mentale était défaillante - mais on y retrouve aussi ses grandes idées (son féminisme, sa vision de la société dans laquelle elle a vécu et les transformations qui commencent à se faire sentir à la fin de l'époque victorienne).


Peut-être que pour apprécier Mrs Dalloway, il faut accepter de se laisser porter comme par une vague: à droite avec un personnage, à gauche avec le suivant, revenir à Clarissa puis repartir au gré de leurs pensées - pas toujours conscientes, rarement construites.


Virginia Woolf m'a parlé de beaucoup de choses, mais c'est avant tout l'universalité de l'esprit humain que je retiens, cette façon qu'a chacun de rechercher le bonheur comme il le peut : le souvenir d'une époque, d'un amour, la foi, l'avenir ou la perte de contrôle, la folie et la poésie des hallucinations, avec une véritable poésie.


Une note ?


10/10

05/09/2010

Bram Stoker, Dracula

En fait, ce billet aurait dû paraître pour la lecture commune de Livr'Addict du 31 août... Mais j'ai du mal avec la ponctualité.

(Résumé Livre de Poche)

"Comment Vlad III, prince de Valachie, dont le goût immodéré pour le supplice du pal lui a valu le sobriquet de "Tepes" (l'empaleur), est-il devenu, sous la plume de Bram Stoker, le comte Dracula?
Comment un seigneur de guerre mort au combat, en 1476, contre les Turcs est-il devenu un "non-vivant", se nourissant du sang de ses victimes? Comment, enfin, le folklore du vampire s'est-il nourri des chroniques historiques? (...)"

Mon avis

Je ne sais pas si c'est parce qu j'avais vu le film de Coppola juste avant de lire le roman, ou si c'est parce que la littérature classique n'est pas ma tasse de thé, mais j'ai mis un temps fou à me concentrer dessus. Pourtant, c'est un très bon livre, avec une structure originale qui mélange les journaux et le roman épistolaire, bien écrit, de très belles descriptions, un véritable ambiance... Ou alors, c'est la traduction de mon édition qui laisse à désirer.
Dans les bons côtés il y a le talent narratif de Bram Stoker, sa capacité à plonger ses lecteurs dans une ambiance, la compléxité de l'intrigue... Les journaux intimes des personnages permettent de poser lentement l'ambiance, de décrire les endroits et les sentiments avec une précision qui se perdait dans le film. D'ailleurs le livre va beaucoup, beaucoup plus lentement, ce qui dans le fond est un mal pour un bien.
Dans ce qui m'a beaucoup moins plus, il y a justement une intrigue qui se perd un peu vers le milieu du roman, un style un peu lourd par moments, et (mais ça c'est ce que je reproche à à peu près tous les romans de cette époque alors on ne va pas s'attarder dessus) des personnages féminins qui ne sont pas complètement de ravissantes idiotes, mais qui pourrait quand même gagner en profondeur. Je suppose que c'est l'époque qui veut ça...

Au final
Une lecture mitigée. Je comprends parfaitement le succès qu'il a eu, le scandale qui va avec, le fait que ce soit un classique, mais j'avoue ne pas avoir réussi à aller au bout. Je le relirai sûrement dans quelques temps (quand j'aurai envie de lire des histoires de vrais vampires qui mordent et tout ça), mais pour l'instant il va retourner sagement dans ma bibliothèque.

26/08/2010

Sophie Chauveau, Diderot, le génie débraillé, Tome 1 : Les années bohême

C'est quoi?

La nouvelle série historique de Sophie Chauveau. C'est une des rares auteurs français que je suis avec attention depuis son cycle sur la Renaissance italienne (Le siècle de Florence), pour sa capacité à rendre vivante une époque figée dans nos livres d'Histoire. Ici, ce sont les Lumières qu'elle ressuscite en dépoussiérant un bon coup une de leurs figures, à moitié ignorée en France et reconnue dans le reste de l'Europe, à savoir Diderot

En deux mots :

1728, Denis Diderot est le fils adolescent d'un coutelier de Langres et est trop brillant (et trop athée) pour s'en tenir à l'ambition paternelle, qui est de le voir entrer dans les Ordres. Pour lui ce sera Voltaire, Montesquieu, la littérature et la gloire ou rien.
Il fait son lycée à Louis-le-Grand, où il découvre à ses dépends la toute puissance de la noblesse et l'inégalité de la société. Après ça ce sont les études à la Sorbonne et la vie qui va avec : il devient docteur ès arts, se passionne pour les mathématiques, la physique, et passe le reste de son temps à tourbillonner d'amis en cafés en filles en travaux proches de l'escroquerie pour ne pas mourir de faim. C'est comme ça que nait une des grandes figures de son temps, philosophe et écrivain définitivement révolté contre les injustices sociales et les inégalités (même s'il ne se risquera pas toujours à l'écrire) si sulfureux qu'il en sera mis au secret au chateau de Vincennes. Mais entre temps, l'idée de l'Encyclopédie est née.

Mon avis:

Un excellent roman. Pas grand chose d'autre à dire, en fait, si ce n'est que le style de Sophie Chauveau se marie sans problème a l'énergie du personnage et de son époque (le Paris de Louis XV, fourmillant d'esprits brillants et soumis au silence par la censure royale) et nous fait découvrir un Diderot très éloigné de l'image que la postérité en a gardé.
Diderot ce n'est pas que le vieux monsieur maitre d'oeuvre de l'Encyclopédie, ici c'est un jeune homme plein de vigueur, d'ambitions et de passions, qui aime la vie, le vin, le théâtre, les festins, les femmes passionnément et ses amis jusqu'à la mort.
Un roman qui réconcile un peu avec la philosophie et surtout, donne envie de connaître une effervescence intellectuelle de cette ampleur, en partie à cause du name-droping inévitable avec un sujet pareil - Voltaire, D'Alembert, Montesquieu font leurs apparitions, Rousseau à l'époque où il n'était qu'un jeune homme perdu à Paris et meilleur ami de Diderot (!) -  et de l'optimisme perceptible de l'auteur.

A lire en s'offrant un promenade dans le Quartier Latin, dans lequel se situe la plus grande partie de ce premier tome, pour se donner l'impression de marcher dans les pas des personnages  et se demander quel genre de hasard a pu créer une telle génération d'esprtis brillants.

Une note : 9/10.

08/07/2010

Nancy Huston, Dolce Agonia

C'est quoi?
Le livre sur lequel ma sœur va travailler pour son cours de théâtre. Comme elle n'a pas le temps de le lire et qu'elle n'aime de toutes façons pas cet auteur, je lui ai promis de le lire pour lui dire ce que j'en pense.

En deux mots :

Sean Farrell, écrivain dépressif, alcoolique et qui s'en sort pas trop mal comme ça, organise un dîner de Thanksgiving chez lui au début des années 2000. Le roman suit le dîner, une douzaine d'adultes, ayant pour la plupart dépassé la cinquantaine, avec de bonnes situations, instruits et plus ou moins proches, et la jeune épouse de l'un d'eux comme élément extérieur. Une tempête de neige les empêche de repartir, fait durer la soirée et glisser la conversation sur les thèmes traditionnels de Thanksgiving : la famille, la mémoire... au fil de monologues intérieurs, de réflexions et de souvenirs. Et par dessus tout ça, Dieu joue les narrateurs et nous explique par le menu ce qu'il a prévu pour chaque convive, et un enfant dort.

Mon avis

Un roman très court, en huis clos, qui donne tout de même le temps de s'attacher aux personnages et à leurs cassures. Nancy Huston dévoile au lecteur tous les non-dits, toutes les motivations des personnages, et à grands coups de flash-backs enchâssés dans l'histoire et de monologues intérieurs on découvre où commence leur pudeur, ce qu'ils savent et pensent les uns des autres, ce qu'ils sont prêts à dévoiler devant une étrangère (Chloé, jeune mère et épouse d'un écrivain vieillissant, ne connaît personne et sert d'élément perturbateur), pour en arriver à une ambiance mitigée, faite de sous entendus et d'hypocrisie. Pourtant on remarque une certaine ironie: on sait exactement ce qui se cache derrière la conversation et, surtout, Dieu en narrateur nous explique ce qu'il a prévu pour chaque personnage, ce qui donne une perspective nouvelle à l'histoire.

Un roman qui parle de vieillesse, de famille, mais aussi de littérature puisque les convives sont poètes, écrivains, philosophes ou le voudraient, la vie, la mort (en filigrane, et on comprend que c'est peut-être le dernier tabou), des mœurs américaines avec des personnages comme je les aime, complexes et hypocrites, et des romanciers qui passent leur temps à penser à leur prochain livre plutôt que de voir ce qui leur pend au nez.
Par contre l'écriture peut être rebutante. Les phrases sont longues, il y a beaucoup d'effets de style et de répétitions qui commençaient à me gêner sur la fin. Dans un roman plus long, ça m'aurait sûrement vite agacée; heureusement ici, le livre se lit d'une traite. Il demande surtout une certaine concentration, puisque la narration s'arrête brutalement le temps d'un monologue puis reprend, ce qui arrive toutes les deux pages. C'est original, c'est une façon de nous faire entrer dans les personnages, mais lassant à la longue.

Une note?
7/10

25/06/2010

Wayne Barrow, Bloodsilver

C'est quoi?

En lisant la quatrième de couverture (qui n'a rien a voir avec le résume ci-dessous), je m'attendais à un roman d'aventures; j'ai eu droit à une uchronie, genre dans lequel je ne m'étais jamais aventurée. Heureusement, une bonne uchronie : et si, à la fin du XVII° siècle, des vampires venus de la vieille Europe avaient débarqué sur la côte américaine? Et si tout le monde était au courant?

En deux mots :

En 1607, la colonisation de l'Amérique du Nord commence.
En 1620, les pionniers du Mayflower débarquent.
En 1691, l'Asviste s'échoue près de l'île de Manhattan. A son bord, les derniers vampires venus d'Europe de l'Est.
En 1692, la chasse aux sorcières commence à Salem.  Les vampires organisent le Convoi. Le révérend Mather crée la Confrérie des Chasseurs.
L'auteur réécrit l'Histoire de la conquête de l'Ouest. On retrouve toutes les figures légendaires, de Billy the Kid aux Daltons en passant par Mark Twain, à différentes époques, avec une différence notoire : les cow boys ne combattent plus seulement les indiens, la Guerre de Sécession n'aura pas lieu, l'Europe leur tourne le dos, la révolution industrielle disparaît des tablettes. Les villes se créent et disparaissent au rythme du convoi et du Québec au Mexique, on combat les vampires ou au contraire on crée avec eux des alliances improbables autour de mines d'argent.

Mon avis

Je n'ai pas remarqué d'anachronisme flagrant; il ne me semble pas que le terme vampire apparaisse même une seule fois. Barrow a rassemblé toutes les légendes sur le vampirisme : Broucolaques, Striges, non-morts, Suceux, El Chupacabra. Dans le roman, ils sont appelés Brookes.
Tout le roman est écrit du point de vue des américains, ce qui permet de comprendre - sans réussir à l'excuser - leur peur du Convoi et rappelle surtout que les grandes figures de la conquête de l'Ouest ne sont pas des personnages romantiques mais des assassins dont le seul but, dans ce roman, est de tuer des Brookes. Il pourrait être manichéen mais évite le piège : on voit l'obsession de tuer des Chasseurs, leurs œillères, ils ne sont pas des héros et certains vampires sont plus positifs que les narrateurs. Au final, on se demande qui est le monstre dans l'histoire.

Je ne connais rien à l'histoire américaine, alors impossible pour moi de démêler la réalité de la fiction, mais ça ne m'a pas gênée outre mesure. En tout cas, pas par ça. Parce que ce n'est pas une lecture évidente : Barrow n'a pas omis que l'histoire américaine s'était construite dans le sang, qu'elle était teintée de racisme et de violence; certaines scènes touchent même à l'insoutenable.
J'aurais aimé que les motivations des vampires soient mieux expliquées (ou c'est que je suis passée à côté), certains chapitres semblent être là pour remplir des pages blanches, le rythme est décousu ce qui lasse assez vite : on passe d'une scène de combat rythmée à un long chapitre dans lequel il ne se passe presque rien. De ce point de vue, le roman est assez inégal, même si on finit par comprendre la présence de ces longues transitions : certains narrateurs deviennent des personnages récurrents ou des clés de voute de certains pans de la psychologie des personnages.

Au final, j'ai eu du mal à voir où voulait en venir Barrow et ai été à deux doigts de reposer le roman. Heureusement pour moi je me suis retenue; ceci dit, je ne le conseille pas à ceux qui ont l'estomac fragile.

Une note?
7/10

17/06/2010

Philippe Besson, Un instant d'abandon

C'est quoi? 
Philippe Besson fait partie des rares écrivains français contemporains que je suis. En fait, des deux écrivains français que je lis : il y a lui et Sophie Chauveau. Pourtant il me laisse à chaque fois une sensation d'inachevé, ici plus que dans ses précédents romans.

En deux mots :
Thomas Sheppard sort de prison et revient à Falmouth, la ville où il est né, où il a grandi et où il retourne parce qu'il n'a nulle part où aller, même s'il n'est pas le bienvenu. Il reprend sa vie, mis à la marge de la ville - une petite ville où tout le monde sait qui est son voisin - et rencontre d'autres "écartés" à qui il confie son histoire. Son enfance à Falmouth, son crime, la prison. Il n'y pourtant pas de pardon possible, pas de retour en arrière; il n'est revenu que pour se souvenir et attendre.

Mon avis
J'ai tendance à chercher chez philippe Besson une dimension que ses livres n'ont pas. Ici, on est face à un roman sur le retour, l'isolement, la mentalité des petites communautés, mais il ne fait qu'effleurer tous ces thèmespour se concentrer sur son premier sujet : le portrait d'un prisonnier qui revient au bercail. On connait tous les détails de sa vie, racontés à travers les confessions de Thomas, mais j'ai eu l'impression de rester à la surface, de ne jamais réellement approcher des véritables intentions du personnage.
Il multiplie les clichés sur la perte de soi, case (encore une fois) une histoire d'amour fulgurante qui - pour une fois - ne prend pas toute la place, et le détachement de l'écriture qui m'avait d'abord attirée m'a profondément agacée. Il y a une raison logique pour ça, un personnage fatigué de ce que la société lui a fait subir qui se contente de faire l'inventaire de ce qui l'a mené où il est, mais justement, cette fois c'était peut-être trop présent. Ce qui jusque là me semblait fluide est devenu la preuve trop évidente du travail d'écriture et voir la formule m'énerve, le style m'a paru plat. C'est comme quand on connait le truc de l'hypnotiseur, on arrive pas à entrer dans le numéro et au final, on sort à moitié déçu.
Pourtant j'ai presque tout lu de Philippe Besson, il fait partie des auteurs dont je suis l'actualité depuis qu'Un garçon d'Italie et En l'absence des hommes m'ont soufflée; là rien à faire, je ne suis pas entrée dedans. La preuve, je ne l'ai pas lu d'une traite, contrairement aux autres.

Tout n'est pas à jeter, bien sûr. Je n'ai pas été émue aux larmes (le but affiché du roman) mais il reste de très beaux passages, de purs moments de poésie concentrés à la fin du roman. Après tout, si je continue à le lire, c'est parce que je sais que Philippe Besson touche toujours juste quand il s'agit des relations humaines et de la mesquinerie sourde de ce qui nous entoure.


Une note? 6/10

13/06/2010

Claude Cariguel, S.

C'est quoi?
Ce livre, paru en 1953, vaut à son auteur le prix des Deux-Magots et fait scandale à sa sortie. Ce que j'ignorais totalement au moment où je l'ai trouvé : sa tête de vieux roman trop relu et sa couverture, un simple S. majuscule, m'ont attirée. Il était en si mauvais état (et l'est toujours) que le bouquiniste chez qui je l'ai trouvé ne me l'a même pas fait payer sous prétexte qu'il ne se permettrait pas de me vendre un livre retenu par un élastique; autant dire que je ne m'attendais à rien de particulier en le commencant.


En deux mots
Un roman difficile à résumer sans lui faire perdre sa valeur. On est à la fin des années 40, peut-être au début des années 50 et Claude (pas de nom de famille, on ne connait que les prénoms dans ce roman) quitte le collège religieux de Salvère pour passer son bac de philo à Lausanne. Là il rencontre Alfonso, qu'il surnomme S., fascinant de culture et de mystères, et se retrouve dans une faune cosmopolite et polyglotte qui parle français, s'insulte en arabe, se dispute en anglais et se réconcilie sur un air de jazz. Au lieu de grands penseurs il découvre avec eux la débauche, l'amour, la fascination et la désespérance dans laquelle il suit le modèle de S. Jusqu'au drame qui le renverra à Paris, à Salvères, à d'autres amours pour exorciser tout ce que Lausanne lui aura appris.

Mon avis
Je ne m'attendais à rien, mais pas à ça. Le spleen tranquille de la jeunesse oisive, la bohème étudiante dépeinte dans ce qu'elle a d'à la fois glauque et poétique, le monde de Claude qui peu à peu perd tout son sens et ses certitudes qui volent en éclat. C'est un roman qui parle de la fin de l'adolescence, de ce moment où on devient adulte sans s'en apercevoir, de deuils, d'amours ratés. Claude est un adolescent : il n'a que 17 ans au début du roman qui nous raconte un an de sa vie. Toutes ses émotions sont exacerbées, ses passions violentes, il cherche un amour absolu mais ne réalise pas encore que ce qu'il fait et ce qu'il dit a des conséquences, comme un enfant.

J'ai aimé la façon qu'a l'auteur de distiller ses informations au compte-goutte. Il sous-entend, effleure l'idée, laisse le lecteur deviner pour, cent pages plus loin, quand on s'est pris deux ou trois claques, y revenir et confirmer ou infirmer tout ce qu'on a pu penser comprendre. La langue est particulièrement maîtrisée et le ton volontairement laconique sonne juste, comme s'il s'agissait d'un reportage sur la vie d'un jeune parisien désargenté. L'auteur nous fait tout voir du point de vue de Claude qui regarde le monde avec de plus en plus de détachement, mais en nous glissant des informations qui nous permettent de comprendre mieux que lui ce qui lui arrive - au point de donner envie de le gifler par moment. 

On peut se laisser dérouter par les associations d'idée, les rêveries de Claude qui a une imagination très fertile, ses jugements à l'emporte-pièce que ceux qui l'entourent et les dialogues tout en sous-entendus qui passent du coq à l'âne - comme une vrai conversation, dans laquelle on a pas besoin de finir une phrase pour se faire comprendre - mais l'ensemble est cohérent et toutes les zones d'ombre finissent par s'éclairer.

Des personnages attachants, une écriture superbe, un rythme et une ambiance lents qui font tomber peu à peu dans le désespoir morne dans lequel ils se complaisent : je recommanderais bien ce livre, s'il était toujours édité. Mais si en fouinant dans un bac de livres à 20 centimes vous tombez dessus, n'hésitez pas. D'autant plus si vous le trouvez avec ses suites, Hollywood et Les enragés

Une note ?
10/10.